Cette newsletter contient la présentation de 10 arrêts du Tribunal fédéral. Elle comprend un commentaire de M. Jean Christophe Schwaab, dr en droit sur l'arrêt du TF 2C_470/2020 sur l'exception de l'application de la LTr aux ménages privés.
Protection de la personnalité; champ d’application de la LTr, ménages privés; art. 2 al. 1 LTr
L’exception d’application de la LTr aux ménages privés selon l’art. 2 al. 1 lit. g LTr ne s’applique que dans les cas où le travailleur concerné est directement engagé par le ménage privé, et non en présence de relations tripartites dans lesquelles une société place des employés dans des ménages privés.
Protection de la personnalité; art. 2 LTr
Heures supplémentaires; preuve; art. 8 CC, 42 CO
En ce qui concerne l’accomplissement d’heures supplémentaires, le fardeau de la preuve incombe au travailleur. Il doit donc prouver que, sur instruction ou du moins dans l’intérêt de l’employeur, il a consacré plus de temps que ce qui était convenu contractuellement ou habituellement. Lorsqu’il est très difficile voire impossible d’apporter la preuve stricte du dommage, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée (art. 42 al. 2 CO). La détermination en équité s’applique aussi bien à la preuve de l’existence du dommage qu’à celle de l’étendue de celui-ci (rappel de jurisprudence, cons. 4.2).
Le surplus de temps de travail par rapport à ce qui a été convenu contractuellement ou à ce qui est habituel ne peut régulièrement pas être prouvé avec une certitude totale, hormis notamment les cas dans lesquels les employés timbrent
leur temps de travail. Il est en effet typique, et pas seulement dans le cas d’espèce, que les propres notes (ou « contrôles d’heures ») de l’employé, lorsqu’elles ne sont pas contresignées par l’employeur, ne permettent pas d’apporter cette preuve ; il s’agit en fin de compte d’affirmations d’une partie (rappel de jurisprudence, cons. 4.3).
Contrairement à l’avis des employeuses, il y avait donc bien lieu de s’écarter de la règle de la preuve stricte en l’espèce, puisque la preuve de l’ampleur des heures supplémentaires n’a pas pu être apportée autrement que par les déclarations de l’employé. Les conditions d’application de l’art. 42 al. 2 CO sont dès lors remplies (cons. 4.3).
Note AW :
Le TF se fonde sur un arrêt 4A_338/2011 de 2011 pour rappeler qu’il est fréquent que le nombre d’heures supplémentaires ne puisse être prouvé avec certitude. Lorsque le seul élément de preuve pour établir le nombre d’heures supplémentaires est une allégation de l’employé – telle que ses propres annotations, il y a lieu de s’écarter de la preuve stricte et d’appliquer l’art. 42 al. 2 CO.
Contrat-type de travail, salaires; salaire minimum; art. 360a, 360b CO
Est rejeté le recours contre le décret du Conseil d’Etat tessinois fixant un salaire minimum par contrat-type de travail obligatoire dans le secteur de la fabrication de matériel électrique.
Concernant l’absence de tentative d’accord au sens de l’art. 360b al. 3 CO, les autorités tessinoises n’ont pas outrepassé leur pouvoir d’appréciation en considérant qu’un accord avec les employeurs n’était pas possible, ou qu’il ne pouvait être conclu dans le délai de deux mois prévu par la norme en question (con. 4.2).
La détermination, par la commission tripartite instituée par l’art. 360b al. 1 CO, de l’existence d’un dumping salarial (au sens de l’art. 360a CO) a une composante politique et législative, ce qui donne à cette commission une large marge d’appréciation.
L’art. 360b CO confère aux commissions tripartites fédérales et cantonales un rôle central dans la procédure d’adoption des CTT à salaires minimaux obligatoires ; ce sont ces organes qui observent et analysent le marché et, si les conditions sont réunies, proposent aux autorités compétentes de fixer des salaires minimaux pour certaines branches ou professions. En préparant cette mesure d’accompagnement à la libre circulation des personnes, le législateur était conscient que la vérification des conditions de 360a CO et la décision d’adopter un CTT sont des mesures largement discrétionnaires. Pour cette raison, et aussi parce qu’elles sont composées de représentants des deux partenaires sociaux, ainsi que de l’Etat, les commissions tripartites jouissent d’un large pouvoir d’appréciation. Leur composition permet d’atténuer l’atteinte à la liberté contractuelle causée par l’introduction de salaires minimaux (cons. 5.3).
Plusieurs méthodes sont envisageables pour identifier une situation de dumping salarial (cons. 5.3.1).
Pour la fixation du salaire minimum, la loi ne pose pas de critères autres que ceux de l’al. 2 de l’art. 360a CO, dont la formulation est semblable à celle de l’art. 2 ch. 2 LECCT. La norme étendue ne doit pas être contraire à l’intérêt général, mais elle n’a pas besoin de concorder avec cet intérêt. Les mesures qui se cantonnent à une branche économique ne portent pas atteinte à l’intérêt général, contrairement aux dispositions salariales qui perturberaient la structure des salaires ou des prix. En ce qui concerne spécifiquement la fixation du salaire minimum dans le cadre d’un CTT obligatoire, la doctrine suggère que si des CCT ou des CTT existent, ils doivent servir de base, tout en vérifiant s’il est opportun de reprendre les montants fixés. Une exigence de consultation d’experts, telle qu’elle existe à l’art. 11 LECCT, n’est pas imposée pour les CTT obligatoires. Cela confirme le rôle central de la Commission tripartite dans la fixation du salaire minimum (cons. 5.3.2).
Si les conditions de l’art. 360a CO sont remplies, il ne reste plus de place pour une analyse du salaire minimum sous l’angle de la liberté économique ou de la proportionnalité (cons. 7).
Salaires; frais, remboursement, véhicule, indemnités kilométriques; art. 327a et 327b CO
L’employeur n'est pas tenu d'indemniser le travailleur pour les frais de déplacement entre le domicile et le lieu de travail, à moins que le travailleur ne doive se rendre en dehors de son lieu de travail ou que le lieu de travail change fréquemment ; si le travailleur se rend directement de son domicile à un lieu de travail différent de son lieu de travail habituel, l’employeur doit lui rembourser les frais supplémentaires par rapport au trajet du domicile au lieu de travail. L'employeur est également tenu de prendre en charge les frais de déplacement jusqu'au domicile de chaque client où le salarié est tenu de travailler, si nécessaire en mettant à sa disposition un véhicule (cons. 5.3.1).
En l’espèce, l’employeuse devait prendre en charge les frais de déplacement de la salariée qui se rendait au domicile pour prodiguer des soins à domicile (cons. 5.3.2).
La demande de remboursement, effectuée après le licenciement, n’est pas abusive (cons. 6).
Note AW : Cet arrêt précise la portée de l’obligation de remboursement des frais de l’employeur lorsque le travailleur doit se rendre au domicile des clients pour effectuer son activité.
Congé abusif, vacances; contrats en chaîne, délai de congé, indemnité; art. 329a, 329d, 335, 336, 336a CO
N’est pas arbitraire la décision de la cour cantonale selon laquelle les relations contractuelles liant l’employeuse et une salariée, enseignante de français, entre le deuxième et le troisième contrat de travail conclus respectivement les 22 août 2016 et 21 juin 2017, n’ont jamais cessé et qu’aucune nouvelle période probatoire n’a dès lors commencé à courir à la suite de la signature du troisième et dernier contrat de travail (cons. 3).
La cour cantonale n’a pas enfreint le droit fédéral en retenant que le congé était abusif, puisqu’il avait été signifié en réaction aux prétentions salariales émises de bonne foi par la salariée (cons. 4.3).
L’indemnité de licenciement abusif octroyée, située dans la fourchette haute, n’est pas critiquable (cons. 4.4).
En règle générale, le salaire relatif aux vacances doit être versé au moment où celles-ci sont prises et il n’est pas admissible d’inclure l’indemnité de vacances dans le salaire total. L’indemnité de vacances peut exceptionnellement être incluse dans le salaire total, lorsque, outre la nécessité objective due à une activité irrégulière (première condition), la part du salaire global destinée à l’indemnisation des vacances est mentionnée clairement et expressément dans le contrat de travail lorsqu’il est conclu par écrit (deuxième condition), ainsi que sur les décomptes de salaire périodiques (troisième condition). La simple indication selon laquelle l’indemnité afférente aux vacances est comprise dans le salaire total ne suffit donc pas ; la part représentant cette indemnité doit être fixée en pourcentage ou en chiffres et cette mention doit figurer aussi bien dans le contrat de travail écrit que dans les décomptes de salaire. Si les conditions ci-dessus ne sont pas réunies, l’employeur doit payer le salaire afférent aux vacances. Que l’employé ait pris ses vacances en nature n’y change rien (rappel de jurisprudence, cons. 5.1).
Procédure; préjudice irréparable; art. 93 LTF
En l’espèce, l’arrêt attaqué impose au recourant de tolérer que la partie demanderesse puisse être représentée par l’un de ses organes et par l’avocat qu’elle a choisi pour assurer la défense de ses intérêts. Contrairement à ce que soutient le recourant, pareille décision n’est pas susceptible de lui causer un préjudice irréparable. Le recours au TF est donc irrecevable.
Licenciement; réintégration
Une fois la réintégration ordonnée par arrêt entré en force, l’employée a droit au paiement du salaire qui aurait été dû si les rapports de service n'avaient jamais cessé. Que l’employée n'ait pas été réintégrée dans ses fonctions pendant la durée de la procédure cantonale n’y change rien. Le fait que l'intimée n'aurait pas offert ses services au recourant après avoir été licenciée apparaît également dénué de pertinence.
Note AW : Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence – inaugurée dans l’arrêt 8C_546/2020 – selon laquelle une salariée, dont le licenciement immédiat a été annulé et la réintégration ordonnée, peut prétendre au versement de son salaire pour la période comprise entre son licenciement et sa réintégration. Ni le déroulement de la procédure, ni les règles sur la demeure de l’employeur ne sont pertinentes à cet égard.
Fin des rapports de travail; interprétation, démission, libération de l’obligation de travailler; art. 18, 324 CO
En l’espèce, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a jugé que la décision de l’Office, qui libérait le fonctionnaire de l’obligation de travailler « jusqu’à nouvel avis », lui signalait que cette mesure était « sans incidence sur son traitement » mais lui enjoignait de « se tenir en tout temps à la disposition de son employeur, tout en veillant à prendre des vacances », excluait sans équivoque que le fonctionnaire s’engage auprès d’un tiers aussi longtemps que duraient les rapports de service et, a fortiori, toute obligation de « réduire le dommage ».
Il n’était dès lors pas nécessaire de trancher la question d’une éventuelle application par analogie de l’art. 324 al. 2 CO.
Le fonctionnaire ayant multiplié les démarches, tant dans le secteur public que privé, pour trouver un emploi dans le cadre de la procédure de reclassement, l’autorité pouvait de bonne foi comprendre que, lorsque le fonctionnaire avait annoncé qu’il avait signé un contrat et commençait un nouveau travail, ce dernier remettait sa démission.
Retrouvez les nouveautés en droit du travail et la jurisprudence ainsi que toutes les newsletters qui sont déjà parues.
Découvrez les nombreux Masters de la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel, pour la rentrée 2022-2023, en cliquant ici.
Faculté de droit, Avenue du 1er-Mars 26, 2000 Neuchâtel
Copyright © Droit du travail 2025. Tous droits réservés.