TF 4A_502/2020 du 15 février 2021
Incapacité de travailler; assurance perte de gain collective; art. 324a al. 4 CO
Note par Werner Gloor :
Cet arrêt concerne un travailleur assuré perte de gain collectif en cas de maladie, qui est licencié. A la fin des rapports de travail, le « sinistre » en cours n’est pas encore « liquidé » ; à la suite de l’information que l’employeur lui a prodiguée (cf. art. 331 al. 4 CO), le travailleur exerce son droit de passer dans l’assurance perte de gain individuelle, laquelle lui verse les prestations jusqu’à épuisement de son droit, vraisemblablement sous déduction de l’(importante) prime pour l’assurance individuelle.
Le travailleur saisit le Tribunal cantonal des assurances sociales d’Argovie d’une action contre l’assureur. Son grief : l’assureur eût été tenu de continuer à prendre en charge le sinistre jusqu’à épuisement du droit – mais sans conditionner le maintien de cette indemnisation à son passage dans « l’individuelle », et sans déduction de l’importante prime.
Le recourant est débouté par toutes les instances judiciaires.
Selon le Tribunal cantonal des assurances sociales argovien, l’assureur était parfaitement en droit d’insérer, dans les Conditions générales d’assurance (CGA), une clause aux termes de laquelle la couverture cesse dès le départ du travailleur du cercle des personnes assurées (ce qui est normal), mais qui, en plus, ajoute que la prise en charge d’un sinistre, né et non encore terminé durant les rapports de travail, s’arrête au même moment. Et les juges de préciser que la clause n’était pas insolite. Le Tribunal fédéral approuve, en faisant sienne la motivation des juges cantonaux.
Il ne s’agit, certes, pas de la première fois que le Tribunal fédéral admet la licéité de ce type de clauses, affirmant qu’elles n’auraient rien d’insolite. Pourtant, cette jurisprudence touche à un pilier de la « paix sociale », à savoir à la protection qu’est censée donner – en application de l’art. 324a al. 4 CO – la solution d’une assurance perte de gain en cas de maladie, dérogatoire à l’échelle bernoise.
En effet, cette jurisprudence heurte clairement la bonne foi des parties aux contrats de travail ; l’employeur se fie à l’idée qu’en concluant une assurance collective perte de gain « dérogatoire » au sens de l’art. 324a al. 4 CO, il satisferait aux exigences d’une CCT qui lui est applicable, ou aux engagements pris aux termes du contrat de travail ou du Règlement du personnel. L’employé, de son côté, n’est pas censé lire d’abord les CGA de cette assurance avant de se décider à conclure le contrat de travail. En outre, il a cotisé paritairement pour bénéficier de cette assurance. Il est dès lors douteux que ces clauses d’assurances – pour le moins fort insolites – lui soient opposables. Et si elles l’étaient, dans les rapports qu’à l’assuré vis-à-vis de l’assurance, il devrait pouvoir s’en prendre « récursoirement » à l’employeur, preneur d’assurance – pour la bonne et simple raison que, dans l’immense majorité des cas, ce dernier n’aura pas informé son employé de l’existence d’une telle clause.
Il est également douteux que, comme dans le cas d’espèce, l’assureur puisse valablement conditionner le maintien des prestations pour un sinistre en cours, au moment du licenciement, au passage de l’employé dans l’assurance individuelle. Pour qu’un tel système satisfasse aux conditions d’équivalence posées par l’art. 324a al. 4 CO, l’employeur devrait assumer la moitié au moins de la prime d’assurance individuelle, pour la durée de la prise en charge post-contractuelle du sinistre en cours.
Dans le cas jugé, l’avocat du recourant avait bel et bien plaidé ces points ; le Tribunal fédéral a toutefois jugé que la critique n’était pas suffisamment « substantifiée » ; il ne « discuterait pas suffisamment » la motivation de l’arrêt cantonal entrepris. Le grief articulé était pourtant clair.
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