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Systématique et éléments théoriques de la gestion du mandat
Daniel Rosch
Stämpfli Editions SA
Cette newsletter contient la présentation de 16 arrêts du Tribunal fédéral. Elle comprend un commentaire de Me Celian Hirsch, avocat, assistant-doctorant à l'Université de Genève sur l'arrêt de la CEDH concernant la vidéosurveillance secrète des employés.
Protection de la personnalité, vidéosurveillance, art. 6 et 8 CEDH
La notion de vie privée ne se limite pas à un « cercle intime », où chacun peut mener sa vie personnelle sans intervention extérieure, mais englobe également le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur. À ce titre, elle n’exclut pas les activités professionnelles (§ 88).
En ce qui concerne plus particulièrement la vidéosurveillance sur le lieu de travail, la Cour a jugé que la vidéosurveillance effectuée par l’employeur à l’insu d’une salariée, pendant environ cinquante heures sur une période de deux semaines et l’utilisation de l’enregistrement obtenu dans la procédure devant les juridictions du travail pour justifier son licenciement, constituaient une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée. La vidéosurveillance non dissimulée de professeurs d’université pendant qu’ils dispensaient leurs cours, dont les enregistrements étaient conservés pendant un mois et consultables par le doyen de la faculté, a également été jugée attentatoire à la vie privée des intéressés (§ 91).
Si l’art. 8 CEDH a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée ou familiale. Ces obligations peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. La responsabilité de l’État peut ainsi se trouver engagée si les faits litigieux résultaient d’un manquement de sa part à garantir aux personnes concernées la jouissance des droits consacrés par l’art. 8 CEDH (§ 110).
Quelle que soit la latitude dont jouissent les États dans le choix des moyens propres à protéger les droits en cause, les juridictions internes doivent s’assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou de la correspondance des employés est proportionnée et s’accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (§ 114).
Pour s’assurer de la proportionnalité de mesures de vidéosurveillance sur le lieu de travail, les juridictions nationales devraient tenir compte des facteurs suivants lorsqu’elles procèdent à la mise en balance des différents intérêts en jeu :
i) L’employé a-t-il été informé de la possibilité que l’employeur prenne des mesures de vidéosurveillance ainsi que de la mise en place de telles mesures ? Si, en pratique, cette information peut être concrètement communiquée au personnel de diverses manières, en fonction des spécificités factuelles de chaque cas, l’avertissement doit en principe être clair quant à la nature de la surveillance et préalable à sa mise en place.
ii) Quels ont été l’ampleur de la surveillance opérée par l’employeur et le degré d’intrusion dans la vie privée de l’employé ? À cet égard, il convient de prendre en compte notamment le caractère plus ou moins privé du lieu dans lequel intervient la surveillance, les limites spatiales et temporelles de celle-ci, ainsi que le nombre de personnes ayant accès à ses résultats.
iii) L’employeur a-t-il justifié par des motifs légitimes le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ? Sur ce point, plus la surveillance est intrusive, plus les justifications requises doivent être sérieuses.
iv) Était-il possible de mettre en place un système de surveillance reposant sur des moyens et des mesures moins intrusifs ? À cet égard, il convient d’apprécier en fonction des circonstances particulières de chaque espèce si le but légitime poursuivi par l’employeur pouvait être atteint en portant une atteinte moindre à la vie privée du salarié.
v) Quelles ont été les conséquences de la surveillance pour l’employé qui en a fait l’objet ? Il convient notamment de vérifier de quelle manière l’employeur a utilisé les résultats de la mesure de surveillance et s’ils ont servi à atteindre le but déclaré de la mesure.
vi) L’employé s’est-il vu offrir des garanties adéquates, notamment lorsque les mesures de surveillance de l’employeur avaient un caractère intrusif ? Ces garanties peuvent être mises en œuvre, parmi d’autres moyens, par l’information fournie aux employés concernés ou aux représentants du personnel sur la mise en place et sur l’ampleur de la vidéosurveillance, par la déclaration de l’adoption d’une telle mesure à un organisme indépendant ou par la possibilité d’introduire une réclamation (§ 116).
En l’espèce, les requérantes ont fait l’objet d’une vidéosurveillance, mise en place par leur employeur sur leur lieu de travail pendant une durée de dix jours et dirigée vers les caisses du supermarché et leurs alentours. Il n’y a pas eu violation de l’art. 8 CEDH.
Protection de la personnalité, procédure, responsabilité de l’employeur, prescription, art. 60 et 127 CO
Doit être cassé l’arrêt cantonal ayant jugé que l’action intentée par la veuve et les enfants d’un travailleur décédé d’une maladie professionnelle due à l’amiante était prescrite. En effet, il n’est pas possible de déterminer le moment exact où la maladie s’est développée : l’acte dommageable a donc duré durant toute la relation de travail. Ce n’est qu’avec la fin de cette relation que l’acte dommageable a cessé et que la prescription a commencé à courir (cons. 6).
Conclusion, vacances, contrats en chaîne, art. 2 CC, 20, 324 et 329 CO
L’art. 2 al. 2 CC, qui prohibe la fraude à la loi, s’oppose à la conclusion de « contrats en chaîne » dont la durée déterminée ne se justifie par aucun motif objectif et qui ont pour but d’éluder l’application des dispositions sur la protection contre les congés ou d’empêcher la naissance de prétentions juridiques dépendant d’une durée minimale des rapports de travail (rappel de jurisprudence, cons. 3.1.2).
S’il est vrai que l’activité d’enseignant peut justifier la conclusion de contrats successifs à durée déterminée, l’examen des circonstances de l’espèce permet d’affirmer qu’il n’existait aucune raison objective justifiant le recours à pareil procédé, eu égard à la stabilité de la relation de travail pendant quatorze ans. La situation du demandeur se distinguait ainsi de celle d’un professeur invité par une université à donner un cours sur un semestre ou une année académique sans que l’on sache si le cours en question continuerait à être donné par le professeur en question à l’avenir. Le demandeur, enseignant les mêmes matières dans des conditions identiques ou similaires sur une longue période, se trouvait au contraire de facto dans une relation de travail à durée indéterminée avec la défenderesse (cons. 3.1.3).
S’agissant de la volonté hypothétique des parties, pour le cas où elles n’auraient pas conclu de contrats en chaîne constitutifs d’une fraude à la loi, tout porte à croire qu’elles auraient conclu un contrat à durée indéterminée sans prévoir de terme de résiliation. À ce titre, le raisonnement du Tribunal cantonal, qui se réfère à la convention collective de travail selon laquelle la dénonciation d’un contrat de travail intervient – sauf disposition contraire par écrit trois mois à l’avance au minimum pour la fin d’un trimestre ou d’un semestre civil, est convaincant (cons. 4.3).
S’agissant des conditions de forme devant nécessairement être remplies afin que l’indemnité de vacances puisse exceptionnellement être incluse dans le salaire total, la jurisprudence du Tribunal fédéral n’effectue pas de distinction entre différentes catégories de travailleurs ; elle s’applique donc à tout employé et non seulement à ceux ayant un faible niveau de qualification (cons. 3.2.2).
Congé immédiat, délai, dommage, frais, art. 327a, 328, 337b et 337c CO
Le dommage couvert par l’art. 337b al. 1 CO correspond à l’ensemble des préjudices financiers qui sont dans un rapport de causalité adéquate avec la fin anticipée du contrat de travail : le travailleur qui donne son congé immédiatement de manière justifiée peut ainsi réclamer la perte de gain consécutive à la résiliation, ce qui équivaut au montant auquel peut prétendre un salarié injustement licencié avec effet immédiat en application de l’art. 337c al. 1 et 2 CO ; ainsi le travailleur doit être placé dans la même situation que si le contrat s’était maintenu jusqu’au prochain terme de congé, en tenant compte des délais légaux de protection. En revanche, il n’y a pas d’application analogique de l’art. 337c al. 3 CO dans le cas visé par l’art. 337b CO (rappel de jurisprudence, cons. 4.1).
S’il existe un juste motif, la résiliation avec effet immédiat doit être donnée sans tarder sous peine de déchéance : si elle tarde à agir, la partie concernée donne à penser qu’elle peut s’accommoder de la continuation des rapports de travail jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat ; les circonstances du cas concret déterminent le laps de temps dans lequel on peut raisonnablement attendre de la partie qu’elle prenne la décision de résilier le contrat immédiatement. De manière générale, la jurisprudence considère qu’un délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables est suffisant pour réfléchir et prendre des renseignements juridiques ; un délai supplémentaire est toléré s’il se justifie par les exigences pratiques de la vie quotidienne et économique : on peut ainsi admettre une prolongation de quelques jours lorsque la décision doit être prise par un organe polycéphale au sein d’une personne morale, ou lorsqu’il faut entendre le représentant de l’employé. Il faut par ailleurs distinguer selon que l’état de fait est clair ou qu’il appelle des éclaircissements, respectivement selon que des manquements viennent lentement au jour : s’il s’agit de déterminer l’ampleur des manquements, le délai de réflexion ne court pas avant que cela ait été fait ; si le reproche est d’emblée clair et qu’il s’agit uniquement d’en vérifier le bien-fondé, l’employeur – ou l’employé – peut déjà songer pendant cette phase à ce qu’il entreprendra s’il est avéré (on peut donc exiger de lui qu’il résilie de manière immédiate sitôt que l’état de fait est établi, sans qu’il lui soit encore concédé un délai de réflexion). Si les violations sont multiples ou durables, le délai ne commence pas à courir tant que le cumul ou, si gradation il y a, l’une d’entre elles n’a pas atteint la gravité objective nécessaire pour être qualifiée de juste motif (rappel de jurisprudence, cons. 4.2.2.1).
En l’espèce, l’employée a tardé à notifier sa démission avec effet immédiat (cons. 4.2.2.2).
La protection de la personnalité recouvre l’ensemble des valeurs essentielles, physiques, affectives et sociales liées à la personne humaine (cf. art. 10 al. 2 Cst. qui consacre le droit à la liberté personnelle) et s’exerce notamment en ce sens que le travailleur a le droit de ne pas subir d’atteinte dans sa sphère privée (cons. 5.1).
En l’espèce, la cour cantonale n’a pas fait preuve d’arbitraire ni violé le droit en retenant que la travailleuse aurait pu trouver un poste comparable avec un salaire équivalent dans le domaine bancaire ou financier, de sorte qu’en prospectant dans d’autres domaines, elle a elle-même causé le dommage dont elle réclame réparation (cons. 5.2.1).
Les frais engagés par le travailleur pour attaquer son employeur ne rentrent pas dans la définition des dépenses nécessaires au sens de l’art. 327a al. 1 CO. Cette situation se distingue de celle où l’employé se trouve contraint d’engager des frais pour se défendre dans un procès dont l’objet est lié à l’exécution du contrat de travail (cons. 6.2).
Congé immédiat, insolvabilité, art. 83, 324, 337a et 337b CO
La déclaration de volonté par laquelle l’une des parties met fin au contrat de travail doit être claire et sans équivoque. Cela n’empêche pas qu’une telle déclaration doive parfois être interprétée. En l’espèce, il n’y a pas eu licenciement immédiat de la part de l’employeuse (cons. 2.2).
Lorsque le travailleur est autorisé à mettre un terme au contrat avec effet immédiat en raison de l’insolvabilité de l’employeur (art. 337a CO), les conséquences se déterminent selon l’art. 337b CO. Aux termes de ce dernier, l’employeur doit réparer intégralement le dommage causé lorsque le motif de résiliation consiste dans son inobservation du contrat. Si le travailleur ne souhaite pas rompre le contrat, il peut refuser sa prestation sur le fondement de l’art. 83 al. 1 CO. Dans un tel cas, l’employeur reste redevable du salaire, par analogie avec l’art. 324 al. 1 CO, sans que le travailleur n’ait à fournir sa prestation de travail (cons. 3.2).
Congé abusif, congé-représailles, art. 336 CO
Congé abusif, maladie, art. 336 CO
Le licenciement, à l’issue du délai de protection de l’art. 336c CO, d’un salarié malade n’est en principe pas abusif, sauf si la maladie trouve son origine dans le comportement de l’employeur. Il revient au salarié de prouver cette dernière hypothèse. Cette preuve n’a pas été rapportée en l’espèce (cons. 3.5).
Gratification, qualification, art. 322 et 322d CO
Les différents éléments suivants convergent pour retenir que les parties ont convenu d’une gratification, et non d’un élément de salaire contractuel :
L’employeur ne doit pas adopter une attitude contradictoire et arguer d’une performance prétendument déficiente pour refuser un bonus, alors qu’il aurait précédemment exprimé sa complète satisfaction. En l’occurrence, l’employeuse a certes attribué une note injustifiée à la travailleuse, qui a eu pour effet d’exclure automatiquement tout éventuel bonus. Cela étant, il découle des constatations de fait qui lient le TF que la recourante n’a pas donné pleine et entière satisfaction dans l’accomplissement de ses tâches contractuelles (4.3.2).
Protection de la personnalité, homophobie, art. 3, 8 et 14 CEDH, 177, 180, 181 et 261bis CP
La CourEDH a jugé que, lorsqu’une personne soutient de manière défendable qu’elle a subi un harcèlement à caractère raciste, notamment des insultes et des menaces physiques, les États se doivent, en vertu de l’art. 8 CEDH, de prendre toutes les mesures raisonnables pour déterminer s’il existait un mobile raciste et si des sentiments de haine ou des préjugés fondés sur l’origine ethnique avaient pu jouer aussi un rôle dans les événements, cela même lorsque le traitement n’atteint pas le degré de gravité requis par l’art. 3 CEDH. Selon la jurisprudence de la CourEDH, l’orientation sexuelle relève de la protection de l’article 14 : insulter ou ridiculiser une personne en raison de son orientation sexuelle constitue une discrimination aussi grave que celles fondées sur la race, l’origine ou la couleur (cons. 3.1.1).
En droit interne, l’extension de la norme antiraciste de l’art. 261bis CP aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, adoptée par le Parlement le 14 décembre 2018, traduit la volonté de réprimer de la même manière les actes discriminatoires fondés sur l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse, et ceux fondés sur l’orientation sexuelle (cons. 3.1.2).
Les expressions, gestes ou images dépréciatifs portant sur l’orientation sexuelle peuvent être constitutifs d’injure (art. 177 CP), dans la mesure où ils expriment le mépris. En outre, celui qui aura volontairement fait redouter à sa victime la survenance d’un préjudice réalise l’infraction de menace au sens de l’art. 180 CP. Enfin, le droit suisse réprime la contrainte par « stalking » (art. 181 CP), soit la persécution obsessionnelle d’une personne durant une période prolongée (cons. 3.1.2).
En l’espèce, le Ministère public genevois n’aurait pas dû refuser d’entrer en matière sur la plainte déposée par un employé qui avait indiqué :
Protection de la personnalité, art. 328 CO
Heures supplémentaires, preuve, escroquerie, art. 146 CP
Le relevé des heures de travail modifié postérieurement par le travailleur n’est, en l’espèce, pas constitutif d’une escroquerie au procès au sens de l’art. 146 CP, car les heures de travail inscrites postérieurement dans le système d’enregistrement du temps de travail avaient effectivement été accomplies par le travailleur (cons. 3.2).
Procédure, témoignage, art. 9 Cst.
Il n’est pas arbitraire de prendre en considération les liens professionnels et familiaux qui unissent des témoins à une partie dans le cadre de l’appréciation des preuves, particulièrement lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, du frère et de la femme de l’associé gérant de l’employeuse. En l’espèce, rien ne permet donc d’affirmer que le Tribunal cantonal a fait preuve d’arbitraire en retenant que les seuls témoignages des personnes ayant participé à la réunion ne suffisaient pas à établir que la travailleuse avait démissionné de manière claire (cons. 5).
Licenciement, art. 10 LPers, 31 OPers
En vertu de l’art. 31 al. 1 let. a OPers, la résiliation de la relation de travail est considérée comme étant due à une faute de l’employé si l’employeur y met fin, comme en l’espèce, pour un des motifs définis à l’art. 10 al. 3 let. a à d, ou 4, LPers ou pour un autre motif objectif imputable à une faute de l’employé. L’origine de la maladie de l’employé n’a pas d’importance. Dans ce contexte, la « faute » ne doit pas nécessairement être considérée comme un état qu’on reproche au salarié, mais peut être considérée – comme c’est le cas ici – comme un état imputable à sa personne (cons. 4.2.2).
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