Cette newsletter contient la présentation de 11 arrêts du Tribunal fédéral. Elle comprend une note de Me Aurélien Witzig, avocat, chargé d'enseignement aux Universités de Genève et de Neuchâtel. sur l'arrêt du TF 4A_215/2017 concernant la discrimination des travailleurs européens : l'abus de droit à la rescousse.
Salaires, discrimination ; frontalier, art. 9 ALCP ; 2 al. 2 CC
Quand bien même l’art. 9 al. 1 annexe I ALCP déploierait un effet horizontal direct sur les employeurs privés, et quand bien même le paiement d’un travailleur européen frontalier en euros à un taux fictif par rapport au franc suisse constituerait une discrimination prohibée, le travailleur commet un abus de droit manifeste en invoquant cette disposition dans la conjoncture économique très particulière qui a présidé à la modification de son contrat (cons. 6.3).
Licenciement, protection de la personnalité, état de santé, art. 328 et 336 CO
L’aggravation de l’état de santé d’un contrôleur de bagages n’a pas été causée par un manquement de l’employeur, lorsque, malgré les demandes de l’AI et les nombreuses sollicitations de l’employeuse, le travailleur a toujours insisté pour continuer à travailler et n’a pas, ou peu, collaboré avec l’employeuse, alors que celle-ci a activement recherché des solutions dans l’intérêt de son employé comme une reconversion ou un aménagement de ses conditions de travail.
Congé immédiat, concertation et coalition des travailleurs, art. 337 CO
Le droit du travail autorise en principe les travailleurs d’une entreprise à se concerter et à se coaliser en vue de défendre envers l’employeur leurs intérêts communs ; chaque travailleur a le droit d’entretenir des contacts avec les autres en vue d’une démarche collective ou de démarches individuelles coordonnées (cons. 6).
Les messages « soyons forts et solidaires entre nous », « à quatre ils ne peuvent rien si on stoppe le boulot », « un coup d’Etat se prépare », etc., envoyés par un travailleur à ses collègues, expriment et reflètent surtout l’inquiétude du travailleur et de ses collègues dans un moment où la direction s’apprêtait, croyaient-ils, à les convoquer pour les admonester et se rapportent à la crainte que la direction n’impose abruptement des mesures défavorables au personnel, plutôt qu’à un projet subversif du demandeur (cons. 6).
Une résiliation immédiate ne peut pas se justifier en raison de l’envoi de tels messages (cons. 6).
Heures supplémentaires, preuve, art. 42 et 321c CO
Il incombe au travailleur de prouver qu’il a effectué des heures supplémentaires (art. 321c CO) ainsi que leur quotité (art. 8 CC). S’il n’est pas possible d’établir le nombre exact d’heures effectuées, le juge peut en estimer la quotité (art. 42 al. 2 CO). Si le fardeau de la preuve est allégé, le travailleur n’est pas dispensé de fournir au juge, dans la mesure raisonnablement exigible, tous les éléments constituant des indices du nombre d’heures supplémentaires accomplies. Lorsque l’employeur n’a mis sur pied aucun système de contrôle des horaires et n’exige pas des travailleurs qu’ils établissent des décomptes, l’employé peut recourir aux témoignages pour établir son horaire effectif (rappel de jurisprudence, cons. 3).
En l’espèce, la cour cantonale a pu déduire que les témoignages recueillis et les autres éléments du dossier ne permettaient pas d’établir, ni même de rendre vraisemblable, la réalité et la quotité des heures supplémentaires alléguées par l’employée, de sorte qu’il ne se justifiait pas d’appliquer l’art. 42 al. 2 CO (cons. 4).
Heures supplémentaires, salaires, compensation, frais, usage du logement du travailleur, art. 321c et 327a CO
La compensation des heures supplémentaires par du temps libre n’est possible qu’avec l’accord du travailleur (ad hoc ou prévu par le contrat), même si le travailleur a été dispensé de l’exécution du préavis (cons. 4.6).
Lorsque l’employeur ne fournit pas de place de travail adéquate au travailleur et que ce dernier utilise une pièce de son logement pour travailler, les coûts relatifs à cette pièce sont des frais nécessaires que l’employeur doit rembourser (art. 327a CO). Il en va de même lorsque le travailleur doit louer une pièce supplémentaire pour effectuer du télétravail, peu importe que la décision de louer cette pièce supplémentaire n’ait pas le télétravail comme motif déterminant (cons. 6.2).
En l’espèce, c’est à bon droit que la cour cantonale, dès lors qu’elle avait constaté que le travailleur ne disposait pas d’une place de travail adéquate, a octroyé une indemnité en compensation de l’usage de la pièce de son logement, d’autant plus que cette pièce servait également à entreposer des archives (cons. 6.2).
C’est également à bon droit que l’instance cantonale, dès lors qu’il ne pouvait être exigé du travailleur de chiffrer exactement la part de l’usage de la pièce de son logement qui était privée et celle qui relevait du télétravail, a estimé le montant de cette indemnité en équité (art. 42 al. 2 CO) (cons. 6.3).
Salaires, interprétation, art. 18 et 322a CO
Les parties ne sauraient convenir d’une clause contractuelle autorisant l’employeuse à imputer sur le salaire brut convenu les cotisations sociales incombant à celle-ci (part patronale). En revanche, elles ont la liberté de déterminer les critères permettant de calculer le salaire variable (cf. art. 322a CO) qui, ajouté au salaire fixe, représentera le « salaire brut convenu », sur lequel la part employée des charges sociales sera prélevée, et qui sera versé une fois ces charges imputées (cons. 4.1).
En l’espèce, c’est de manière insoutenable que la cour cantonale a retenu qu’aucun accord n’était intervenu entre les parties sur la question de la déduction de la part patronale des charges sociales dans le calcul du salaire variable (cons. 5).
Procédure, intérêt digne de protection, art. 59 al. 2 CPC
Le justiciable qui fait valoir une prétention doit démontrer qu’il a un intérêt digne de protection, soit un intérêt personnel et actuel, à voir le juge statuer sur ses conclusions. Comme toute condition de recevabilité, cet intérêt doit exister au moment du jugement. Lorsqu’une demande en justice ne répond pas à un intérêt digne de protection de son auteur, elle est irrecevable (cons. 2.2).
En ne fournissant pas le moindre élément démontrant que la prétendue violation de son contrat de travail serait susceptible de se reproduire avec d’autres salariés exerçant au sein de l’employeur, et rien ne permettant d’affirmer que la question litigieuse ne puisse jamais être tranchée avant qu’elle ne perde son actualité, ni qu’elle constitue une question de principe, les conditions permettant de déroger à l’exigence d’un intérêt actuel ne sont pas réalisées en l’espèce (cons. 2.6).
Congé immédiat, harcèlement, art. 337 CO
Repose sur de justes motifs le licenciement avec effet immédiat d’une fonctionnaire dont il avait été établi par le groupe d’intervention instauré par le règlement relatif à la gestion des conflits au travail et à la lutte contre le harcèlement qu’elle avait harcelé psychologiquement sa supérieure. En effet, l’autorité d’engagement avait l’obligation d’agir pour protéger la travailleuse victime de harcèlement (cons. 4).